Plinio Corrêa de Oliveira

 

Noblesse et élites traditionnelles analogues dans les allocutions de Pie XII au Patriciat et à la Noblesse romaine

© pour cette 2ème édition française: Société Française pour la Défense de la Tradition, Famille et Propriété (TFP) 12, Avenue de Lowendal - PARIS VII

Septembre, 1995


Pour faciliter la lecture, les références aux allocutions pontificales ont été simplifiées: est désigné d'abord le sigle correspondant (voir ci-dessous), puis l'année où l'allocution a été prononcée.

PNR = Allocution au Patriciat et à la Noblesse romaine

GNP = Allocution à la Garde noble pontificale

Certains extraits des documents cités ont été soulignés en caractères gras par l'auteur.

Titre original: Nobreza e elites tradicionais análogas nas Alocuções de Pio XII ao Patriciado e à Nobreza Romana (Editora Civilização, Lisboa, 1993).

Traduit du portugais par Catherine Goyard

1ère édition française: Editions Albatros, 1993.

Cet ouvrage a aussi été publié en italien (Marzorati Editore, Milan), en espagnol (Editorial Fernando III, Madrid) et en anglais (Hamilton Press, Lanham MD, USA).


DOCUMENT II

 

Allocution de Benoît XV

au Patriciat et à la Noblesse romaine

L'anniversaire de la Nativité de Notre-Seigneur vient d'éveiller une fois encore en nos coeurs croyants l'écho du céleste cantique des anges, hymne à Dieu et à la paix. Depuis le beau jour de Noël, les souhaits et les paroles affectueuses ont résonné comme un incessant et harmonieux concert que Nos fils éloignés et, plus encore les proches ont voulu faire monter à Notre humble personne parce qu'Elle perpétue à leurs yeux la mission du Christ et constitue la précieuse garantie de Ses promesses et de Ses bienfaits.

Après l'enchantement d'un concert, c'est un plaisir nouveau d'entendre une voix reprendre dans le détail les mélodies de l'ensemble: ainsi, après le joyeux concert de voeux des dernières fêtes de Noël, Nous éprouvons un charme particulier à entendre la voix bien connue du Patriciat et de la Noblesse de Rome; vous vous en êtes fait l'interprète, Prince, avec un accent de foi et d'enthousiasme qui est de tradition dans les maisons de la Noblesse romaine.

Vous avez passé en revue les années sombres et graves que nous venons de vivre et vous avez porté votre regard sur celles qui s'annoncent. Devant une aussi triste perspective, vous avez appelé les consolations et les grâces du ciel sur le cours si tourmenté de Notre Pontificat; soyez-en remercié, Prince, et avec vous les membres du Patriciat et de la Noblesse de Notre Rome, qui ont tenu à venir ici s'associer aux voeux que vous venez d'exprimer, ou s'y associent de loin, empêchés de se réunir devant ce Trône auquel leurs Maisons gardent la fidélité que lui ont jurée leurs ancêtres.

Merci encore, Prince, des paroles par lesquelles vous avez voulu saluer en Nous le Suprême Sacerdoce, pendant que votre regard embrassait dans une synthèse rétrospective l'oeuvre ardue, souvent combattue et méconnue, de l'Eglise catholique au cours du plus terrible cataclysme de l'histoire. Il y a là une intention que Nous avons à coeur de souligner: l'hommage que vous adressiez directement au Chef du Sacerdoce catholique et qui prenait les proportions d'une manifestation collective de cette noble assemblée, atteignait, comme un éloge très beau et opportun, les plus autorisés et fidèles interprètes de Nos sentiments parmi les masses, nous voulons dire les membres du clergé.

Le clergé, fils bien-aimés, n'est point une organisation de guerre, mais bien de paix, et ne peut dès lors avoir en vue que des oeuvres pacifiques et non des oeuvres de guerre. Pourtant, sa mission apostolique a procuré à nos prêtres, même parmi le fracas terrible des combats, de nombreux moyens de faire le bien et de se signaler.

Le prêtre, vous l'avez vu sur le champ de bataille relever les courages, consoler les mourants, soutenir les blessés. Vous l'avez vu dans les hôpitaux recueillir le dernier soupir des agonisants, purifier les souillures des âmes, mettre un baume sur les cruelles blessures, donner soutien et réconfort dans le danger des longues convalescences, réveiller le sentiment du devoir et prévenir les abus de l'infortune. Vous l'avez retrouvé au foyer désert des malheureux, dans les villages abandonnés, au milieu des populations découragées ou parmi la foule des réfugiés, souvent seul, passant toujours inaperçu, soutenir le courage de ceux que la douleur a le plus cruellement frappés, défendre les intérêts des veuves, l'avenir des peuples et relever le moral des masses. Vous l'avez vu encore victime des persécutions, des calomnies, frappé d'exil, mis en prison, réduit à la pauvreté, devant la mort enfin, héros obscur de l'immense tragédie, héraut jamais découragé du devoir dans chacun des deux camps ennemis, idéal vivant du don de soi, victime de la haine et cible de la jalousie, image enfin du Bon Pasteur. Vous l'avez vu, très chers fils!...

En proclamant ainsi, par la bouche du digne représentant du Patriciat romain, que «le prêtre se dévouait tout entier, quoi qu'il dût lui en coûter, au bien de son prochain», vous évoquiez à Nos yeux un autre sacerdoce semblable au sacerdoce de l'Eglise: celui de la noblesse. A côté du regale Sacerdotium, le sacerdoce royal, vous vous êtes élevés, vous aussi nobles, comme la genus electum, race choisie de la société; et, plus que tout autre, votre rôle a ressemblé à celui des membres du clergé; vous avez été leurs émules. Pendant que le prêtre soutenait les âmes par le puissant réconfort de sa parole, de ses exemples, de son courage et des promesses du Christ, la noblesse remplissait, elle aussi, sa mission sur les champs de bataille, dans les ambulances, dans les villes et les campagnes; par son ardeur guerrière, sa charité, son esprit de sacrifice et son courage devant la mort, elle entretenait chez tous, jeunes et vieux, hommes et femmes, le culte des traditions des gloires ancestrales et des grands devoirs qui sont l'apanage de la noblesse.

Vivement touché de l'éloge rendu aux prêtres de Notre Eglise pour leur belle conduite aux jours douloureux de la guerre, Nous Nous faisons un devoir de glorifier à Notre tour, comme il le mérite, le sacerdoce de la noblesse. Ces deux sacerdoces ont apparu en quelque sorte comme les mandataires du Pape, car aux heures les plus critiques, l'un et l'autre ont été les interprètes fidèles de ses sentiments.

Faisant Nôtre l'éloge que le Patriciat romain a voulu adresser aujourd'hui aux prêtres de l'Eglise, Nous voulons, au nom de ceux-ci, rendre une louange semblable aux oeuvres de zèle et de charité qu'ont réalisées, pendant cette même guerre, les membres les plus illustres du Patriciat et de la Noblesse de Rome.

Laissez-Nous, très chers fils, vous ouvrir mieux encore Notre coeur. Il semble que cet incendie mondial ne projette plus que ses dernières lueurs; aussi, le clergé commence-t-il à reprendre son ministère de paix, plus conforme au caractère de sa mission ici-bas. Par contre, la signature de tel ou tel traité de paix ne saurait mettre un terme à l'oeuvre de zèle éclairé et d'active charité que les nobles ont si bien comprise et réalisée pendant la guerre.

Et ne sera-t-il pas juste de dire que Nous aurons un regard de particulière bienveillance pour le sacerdoce de la noblesse puisqu'il pourra, lui du moins, poursuivre sa glorieuse mission sous le régime de la paix? Ah! le zèle ardent déployé au jour du malheur Nous est un gage heureux de la fermeté de vos résolutions; cette fidélité, patriciens et nobles de la Ville Eternelle, vous permettra de mener à bien, en des heures moins douloureuses, les saintes initiatives qui alimentent le sacerdoce de la noblesse!

L'apôtre saint Paul demandait aux grands de son temps de réaliser, ou de travailler à réaliser, l'idéal que réclamait d'eux leur situation. Il n'excluait pas les nobles quand il faisait à tous un devoir de se donner «en exemple de vertu pratique, par leur doctrine, la pureté et le sérieux de leur vie»: in omnibus te ipsum praebe exemplum bonorum operum in doctrina, in integritate, in gravitate (Tit. III, 7). Bien plus, il avait directement en vue les nobles quand, dans sa lettre à son disciple Timothée, il lui demandait d'ordonner aux riches (divitibus hujus saeculi praecipe) de faire du bien et de s'enrichir en bonnes oeuvres: bene agere, divites fieri in bonis operibus (I Tim. VI, 17).

On peut affirmer à bon droit que ces recommandations de l'Apôtre conviennent merveilleusement aux nobles de notre époque. A vous aussi, très chers fils, votre condition sociale plus élevée vous crée une plus rigoureuse obligation d'ouvrir la voie aux autres et de les y guider au flambeau du bon exemple: in omnibus te ipsum praebe exemplum bonorum operum.

De tout temps, les nobles ont été rigoureusement tenus de faciliter l'enseignement de la vérité: in doctrina; mais aujourd'hui, alors que la confusion des idées, compagne de la révolution des peuples, a oblitéré en bien des régions et en tant d'esprits les vraies notions du droit, de la justice et de la charité, de la religion et de la patrie, la noblesse est dans l'obligation plus rigoureuse encore de travailler à faire rentrer dans le patrimoine intellectuel des populations ces saintes notions qui doivent guider notre activité quotidienne. En tout temps, les nobles ont été rigoureusement tenus de ne rien souffrir d'indécent dans leurs paroles et leur conduite pour éviter que leur licence ne portât au vice les personnes d'un rang plus humble: in integritate, in gravitate; mais comme ce devoir s'est fait, lui aussi, plus impérieux et important, du fait de la dépravation de notre époque! Aussi ne s'agit-il plus seulement des gentilshommes; voici les dames elles-mêmes astreintes à se grouper en une sainte ligue contre les exagérations et les indécences de la mode: les ligueuses s'interdisent à elles-mêmes et ne souffrent point chez les autres une mise qui ne serait pas conforme aux lois de la modestie chrétienne.

Venons à l'application pratique du conseil que saint Paul adressait plus spécialement, Nous venons de le dire, aux nobles de son temps: divitibus hujus saeculi praecipe... bene agere, divites fieri in bonis operibus. Nous ne pouvons mieux souhaiter en ce sens que de voir le Patriciat et la Noblesse de Rome continuer, en temps de paix, de se pénétrer de cet esprit de charité qui s'est traduit en de si beaux exemples pendant la guerre. Les nécessités actuelles qui seront leur champ d'action et la diversité des situations locales pourront faire prendre à leur charité des formes multiples et différentes. Si vous, très chers fils, n'oubliez pas que la charité est un devoir, même à l'égard de l'ennemi d'hier, aujourd'hui abattu sous le coup de la misère, vous témoignerez que vous avez fait vôtre la devise de saint Paul: bene agere, vous amasserez les richesses que souhaitait l'apôtre: divites fieri in bonis operibus, et vous continuerez à faire apprécier la sublimité de ce que Nous avons appelé le sacerdoce de la noblesse.

Oh! qu'il Nous est doux et suave de contempler les merveilleux effets de cette oeuvre persévérante déjà en si bonne voie! Fidèle à sa mission, cette noblesse que vous formez ne sera plus considérée comme une survivance inutile des siècles passés, mais comme un levain destiné à revivifier la société corrompue; elle sera un phare lumineux, le sel qui prévient la corruption, la main qui guide les égarés; votre noblesse alors entrera dans l'immortalité, ici-bas d'abord, où tout passe, même la gloire des dynasties les plus illustres, où toute fleur se flétrit, où les plus beaux jours ont leur soir, mais surtout dans le ciel, où tout vit et se déifie dans l'Auteur de toute beauté et de toute noblesse.

L'apôtre saint Paul finit ses avertissements aux nobles de son temps en disant que les trésors amassés au prix de leurs bonnes oeuvres leur devaient ouvrir les portes du céleste Palais où l'on jouit de la vie véritable: ut apprehendant veram vitam. A notre tour, en échange des voeux que le Patriciat et la Noblesse de Rome viennent de Nous offrir au seuil de cette année nouvelle, Nous appelons les bénédictions du ciel sur les membres de l'illustre assemblée qui nous entoure, comme aussi sur les absents et sur leurs familles à tous. Chacun pourra alors, en vertu du sacerdoce que lui confère son rang social, collaborer à la purification et à la pacification du monde et, en faisant du bien aux autres, s'assurer à lui-même l'entrée au Royaume de la vie éternelle: ut apprehendant veram vitam (1)!

(1) L'Osservatore Romano, 5-6 janvier 1920.